L’économie circulaire: un nouvel enjeu pour les ingénieurs

Daniel Normandin, directeur exécutif et cofondateur de l’Institut de l’environnement du développement durable et de l’économie circulaire (EDDEC), a récemment présenté une conférence sur ce qu'est une économie circulaire devant des membres du Conseil du bâtiment durable du Canada, section Québec. Genium360 l’a rencontré à cette occasion, afin de découvrir et de comprendre comment cette pratique émergente se manifestera dans le monde de l’ingénierie.

Économie circulaire et développement durable

L’Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique Montréal sont à l’origine de la formation de l’Institut EDDEC. Ce groupe comprend environ 400 personnes (enseignants, chercheurs, praticiens, etc.) spécialisées en environnement, en développement durable et en économie circulaire. Cela en fait le plus important regroupement interdisciplinaire au monde dans ce domaine.

L’Institut œuvre principalement sur trois plans : la recherche, la formation et le rayonnement/le transfert/le dialogue au service de la communauté sur des enjeux visant à l’émergence d’un véritable développement durable.

Qu’est-ce qu'une économie circulaire ?

Actuellement, nous exerçons collectivement une pression jamais vue sur les ressources de notre planète. En fait, l’humanité consomme l’équivalent de 1,6 planète par année. Donc, nous sollicitons plus d’elle que ce qu’elle peut nous donner. Il existe même une unité de mesure nommée Jour du dépassement, soit le jour à partir duquel on commence à aller au-delà de ses ressources. Cette année, ladite date était le 2 août. Plus nous consommerons, plus ce point de bascule se produira tôt dans l’année.

Cette économie circulaire s’inscrit donc dans la mouvance visant à mieux utiliser les ressources produites, à étirer leur durée de vie, à les recycler, etc. Le but est à la fois de moins produire et de moins jeter.

Quel est l’impact de cette surconsommation ?

On doit aller chercher les matières premières de plus en plus loin. Ainsi, il faut maintenant puiser certaines ressources à plus de 100 mètres sous la croûte terrestre. Le pétrole, lui, doit désormais être trouvé à plus de quatre kilomètres sous la surface de la mer. Dans le cas de quelques matières, il ne reste que… 15 ans d’exploitation réaliste.

Et les solutions présentes ne régleront pas tout. Par exemple, pour fabriquer des panneaux d’énergie solaire, il faut recourir à un très grand nombre de matières et matériaux non recyclables. Donc, on se trouve dans un cercle vicieux.

Mais ce phénomène de forte consommation n’est-il pas simplement lié à la démographie ?

Sur les sept milliards d’humains qu’on compte aujourd’hui, environ trois milliards appartiennent à la classe moyenne. Or, c’est elle qui consomme le plus. Et son poids démographique va s’accroître, car en 2030, la classe moyenne devrait représenter plus de 5 milliards des 9,2 milliards d’humains sur Terre. En somme, la population croît, mais la consommation croît encore plus vite.

En quoi le domaine du bâtiment est-il touché par ce phénomène ?

Le bâtiment est le plus grand consommateur de ressources parmi toutes les industries. Selon les études, on estime qu’il accapare de 25 % à 40 % des GES. En fait, avec l’industrie alimentaire – qui envoie 50 % de sa production aux poubelles –, il forme les deux plus gros flux de ressources.

Encore en 2017, on construit « salement », car on bâtit, puis on démolit, plutôt que de bâtir et de déconstruire.

Comment expliquez-vous une telle situation ?

Il n’existe pas de liens dans la chaîne de valeurs entre ceux qui, à l’origine, fabriquent, ceux qui, ensuite, construisent et ceux qui, en bout de piste, doivent démolir et se retrouver à tout envoyer dans les dépotoirs.

Personnellement, je suis renversé de voir qu’on continue de construire des maisons avec des panneaux de gypse et qu’on défonce et détruise des murs quand vient le temps de réparer de la tuyauterie. Ce sont des approches qui n’ont pas évolué au fil des générations.

Quelles sont les solutions ?

Elles restent en bonne partie à trouver, mais il existe des avenues intéressantes. La modularité est l’une d’elles. Par exemple, au Japon, un gratte-ciel a récemment été démoli, et il a été possible d’en récupérer 93 % des matières. Ailleurs, des ingénieurs ont conçu un édifice dont les 15 étages ont été construits en à peine 24 heures selon des principes de modularité.
À plus petite échelle, pensons à ce qui arrive quand, par exemple, un nouveau propriétaire prend possession d’une maison. Si les cloisons ne correspondent pas à son style de vie ou à ses goûts, il les fera démolir, puis en remontera d’autres, neufs, ailleurs dans le bâtiment. Avec la modularité, les murs seraient simplement retirés, puis réinstallés ailleurs.

L’idée sous-jacente est donc d’allonger la durée d’utilisation, autant sous la forme de réemploi que de reconditionnement ou de réusinage ?

Pour y parvenir, il faut déployer des ressources en amont dans le but de moins jeter en aval. Cela peut prendre différentes formes. Une de celles qu’on connaît bien est la responsabilité élargie du fabricant. On en voit des applications dans des industries comme les peintures, les piles, les huiles à moteur, les produits électroniques, etc. Ici, les producteurs ont l’obligation légale de les récupérer, puis de les acheminer à une autre partie pour leur traitement, leur recyclage, etc.

Toujours au chapitre des approches que nous connaissons de nos jours, comment l’économie de partage s’inscrit-elle dans cette économie circulaire ?

Utilisons l’exemple de l’automobile. Plusieurs études ont démontré qu’en moyenne, nous n’utilisons nos automobiles qu’une heure par jour. Pour y remédier, des systèmes de partage de voitures permettent désormais de produire moins de véhicules, car ce n’est plus le produit lui-même que les gens achètent dans ce cas-ci, mais l’accès à un service de transport.

Un tel modèle pourrait-il s’appliquer à d’autres industries ?

Il est plus répandu qu’on le pense. Uniquement au Québec, par exemple, on compte environ 180 initiatives de partage.
Ailleurs dans le monde, on voit apparaître, dans plusieurs domaines, des cas où le modèle de consommation se transforme. Ainsi, le fabricant de pneus Michelin vend aujourd’hui du kilométrage à ses clients dans le domaine du camionnage plutôt que des pneus. En fait, l’entreprise demeure propriétaire des pneus. Dans le but d’en étirer la durée de vie, elle offre même à sa clientèle des instruments pour en mesurer continuellement la pression, en plus de cours d’éco-conduite. Puis, quand le pneu est bel et bien arrivé en fin de vie, Michelin le récupère dans le but d’en extraire le caoutchouc.
Dans un autre registre, Xerox vend maintenant un nombre précommandé de copies, pas uniquement des copieurs. Elle reste donc propriétaire des appareils. Quand ses clients n’en ont plus besoin parce qu’ils ont atteint la quantité de copies commandée, elle les reprend et en récupère ainsi 92 % des composantes.


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