Gestion de l’eau en milieu urbain : vers un retour aux sources?
Faut-il le rappeler? Le territoire du Québec est composé d’eau douce à 10 %. La province possède à elle seule 3 % des réserves d’eau de la planète. Depuis 2009, les ressources en eau de la province font partie du patrimoine de la collectivité. L’État en est le gardien, au bénéfice des générations actuelles et futures.
En milieu urbain, la gestion de l’eau pose des défis particuliers liés aux réseaux de distribution d’eau potable et à la gestion des eaux usées et des eaux pluviales. Des équipes de chercheurs et chercheuses se penchent sur les moyens à prendre pour améliorer la protection et la conservation de cette précieuse ressource dans nos villes. Entretien avec Sophie Duchesne, professeure en hydrologie et infrastructures urbaines Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
Mathématiques et eau potable
Sophie Duchesne est responsable scientifique du Laboratoire de gestion hydraulique des réseaux de distribution d’eau potable de l’INRS. On y trouve un modèle réduit d’un réseau municipal de distribution d’eau potable. Les conduites ont environ les deux tiers du diamètre et de la pression réelle d’un véritable réseau.
« Avec nos étudiants, nous travaillons actuellement à mieux prédire la qualité de l’eau dans les réseaux de distribution d’eau potable à l’aide de modèles mathématiques, explique Sophie Duchesne. Dans le cas d’une éventuelle contamination, les modèles mathématiques nous aident à trouver la source et à réagir plus rapidement. »
Des infrastructures vertes et intelligentes
L’autre domaine d’étude qui occupe Sophie Duchesne est la gestion durable des eaux pluviales. « Les eaux de pluie surchargent les réseaux souterrains en plus de charrier des polluants issus des surfaces urbaines, poursuit la chercheuse. Plutôt que de tout drainer rapidement vers les réseaux souterrains, on essaie de retenir les eaux sur place. » Les jardins de biorétention, communément appelés jardins de pluie, sont un exemple d’infrastructures vertes déjà présentes dans nos villes. Ces petits îlots de verdure, qui passent inaperçus, sont conçus pour recueillir les eaux pluviales qui vont lentement être absorbées par la végétation et le sol.
L’utilisation de pavages et de surfaces perméables est également étudiée, d’autant plus qu’ils présentent des avantages non négligeables en hiver : lors de redoux, l’eau est absorbée rapidement, réduisant de beaucoup la présence de plaques de glace et, du même coup, l’utilisation d’abrasifs.
Quant aux infrastructures intelligentes, elles sont programmées pour s’adapter aux conditions en temps réel. « Par exemple, dans le cas d’un bassin de rétention des eaux, nous pouvons élaborer des algorithmes qui prennent en compte les observations passées et les précipitations à venir afin de réguler le débit et d’éviter la surcharge tout en permettant une décantation optimale des sédiments. »
Repenser le territoire en équipe
Les changements climatiques bousculent les modèles sur lesquels la gestion de l’eau reposait. Cela demande une adaptation rapide et une collaboration sur plusieurs plans. « C’est à la fois stimulant et difficile, concède Sophie Duchesne. On doit repenser notre aménagement du territoire, et ça passe par exemple par des plans d’urbanisme qui incluent des infrastructures vertes. » Elle cite la ville de Seattle, qui met en valeur ces aménagements depuis plusieurs années, et la Chine avec ses villes éponges, où 100 % de l’eau de pluie est récupérée et valorisée.
Sophie Duchesne est optimiste. La gestion de l’eau en milieu urbain demande des investissements importants, mais les efforts portent fruit. Elle cite notamment la Stratégie québécoise d’économie d’eau potable. Dans le cas de certaines municipalités, les travaux de recherche et de réduction des fuites ont permis de diminuer la production d’eau potable. « Les citoyens ne sont souvent pas au courant. Et on sait que, pour les villes, ça peut être synonyme de paperasse. Mais il faut le dire : ces initiatives ont un impact réel. »