Tourisme spatial : une bonne idée?

À l’été 2021, les sociétés aérospatiales Blue Origin (de Jeff Bezos) et Virgin Galactic (de Richard Branson) ont envoyé pour la première fois des touristes à 100 km de la Terre, soit à la ligne de Karman qui délimite l’atmosphère terrestre de l’espace. Les passagers et passagères ont pu être en apesanteur pendant environ quatre minutes avant de revenir sur Terre. Space X (d’Elon Musk) de son côté propose des voyages de plusieurs jours. En septembre 2021, deux hommes et deux femmes ont passé trois jours en orbite autour de la Terre. Le coût : environ 50 millions de dollars. 

Lubies de milliardaires en quête de sensations fortes? Cela semble être le cas pour le moment. Cependant, la société de services financiers UBS évalue que le marché du tourisme spatial pourrait valoir 3 milliards de dollars d’ici 2030. Que penser du tourisme spatial qui semble vouloir prendre de l’essor? Entretien avec Olivier Hernandez, astrophysicien et directeur du Planétarium Rio Tinto de Montréal.

Faire fausse route

Olivier Hernandez n’est pas très optimiste. « Selon moi, on est en train de manquer une occasion de se servir de cet élan pour changer les choses », se désole-t-il en faisant référence à la lutte aux changements climatiques. Pour le moment, ce sont les plus riches et puissants, ceux-là mêmes qui auraient le pouvoir de renverser la vapeur, qui peuvent se payer ce luxe. Leur démarche semble être motivée par l’exclusivité de l’aventure, un attrait qui est voué à s’émousser avec la démocratisation annoncée des vols spatiaux. 

Du côté de la réglementation, c’est le far space, dit-il en faisant référence au Far West. La réglementation de la Federal Aviation Administration (FAA) doit être revue et ne protège pas les passagers et passagères des vols spatiaux commerciaux. Le seul véritable traité qui existe date de 1967. Il a été signé entre la Russie et les États-Unis pour interdire la militarisation de l’espace. Et il y a un mouvement vers la privatisation de l’exploration spatiale, ce qui inquiète grandement Olivier Hernandez. « Le patrimoine céleste appartient à tout le monde », souligne-t-il.  

D’un point de vue environnemental, on se dirige droit vers une catastrophe écologique selon lui. On évalue que chaque vol représente de 1 à 10 fois les émissions de GES d’un vol Paris-New York. Un vol, c’est peu, mais comme on vise la démocratisation des voyages spatiaux, c’est plus qu’alarmant. 

Et la science? Est-ce que des vols commandités ne pourraient pas servir à payer des expéditions de recherche? Olivier Hernandez croit que la clé de l’exploration spatiale repose sur la robotisation et l’intelligence artificielle, pas sur des vols habités. « L’espace est un environnement extrêmement hostile. L’humain y est constamment en danger. Avec l’exploration robotisée, on diminue les risques et les coûts. On obtient aussi des résultats beaucoup plus rapidement. » 

Il souligne qu’en 20 ans de recherches effectuées dans l’espace, les avancées ne sont pas aussi spectaculaires qu’on pourrait s’y attendre. Plus décevant encore, selon lui, c’est qu’après plus de 60 ans de vols spatiaux, c’est toujours la même technologie qui est utilisée.  

Alors, pourquoi envoyer des humains dans l’espace? « Parce qu’il y a un intérêt politique très fort à le faire. » 

Et les pour?

Tout n’est pas complètement noir. Il y a une part de rêve et d’émerveillement qui accompagne chaque lancement. « Ça crée des vocations, ça amène les jeunes vers les sciences, croit le directeur du planétarium. C’est puissant et bénéfique pour la société. » 

Il garde aussi l’espoir que par le biais de ces aventures spatiales purement personnelles, les personnes aux fortunes colossales soient touchées par la vue de la Terre de l’espace, par la minceur de l’atmosphère et la fragilité de notre vaisseau. Que ce soit le déclic qui les pousse à investir massivement dans la sauvegarde de la planète. 

En attendant, Olivier Hernandez mise sur le tourisme de l’espace. Celui offert sur Terre, dans les planétariums et musées du monde, et dont la vocation est l’éducation. On ne franchit peut-être pas la ligne de Karman, mais c’est, selon lui, le meilleur moyen d’aller plus loin. 

 

Photo de Pixabay provenant de Pexels.

 

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