Génie et sport : des technologies innovantes qui propulsent les équipes, ligues et entraîneurs

Les technologies de rupture, comme celles qui reposent sur l'intelligence artificielle, sont de plus en plus sollicitées par les athlètes, coachs et arbitres, dans plusieurs volets du sport, allant de l’évaluation des performances pour l’entraînement individuel, à la collecte de données pour l'optimisation des tactiques d'équipe, en passant par l’arbitrage des matchs. C’est notamment fréquent dans le soccer, le tennis, ou encore les sports de course et de piste, où l'on combine l’IA à d’autres technologies telles que la réalité virtuelle ou augmentée, afin d'optimiser les performances. Dans ce second reportage du dossier propulsé par Genium360 consacré au génie dans le sport, CScience vous propose de découvrir comment les technologies de pointe dynamisent et optimisent la compétition, allant de la préparation des équipes à leur participation aux matchs.

Améliorer la concentration des sportifs

Le célèbre footballeur et médecin Laurent Duvernay-Tardif, aussi connu pour son implication dans la cause de la démocratisation des sports auprès des jeunes, a prêté son corps à la science dans la série documentaire « J’ai une question », diffusée sur Canal D. L’athlète y teste le « neurofeedback » dans une clinique de Neuroperforma, chef de file au Québec en matière d'entraînement cérébral. La technique, qui consiste à stimuler ou calmer des régions spécifiques du cerveau en étudiant ses réactions grâce à 19 électrodes placées sur la tête, permet d’entraîner les circuits de concentration. Le système peut lire l’activité cérébrale à 2 400 endroits en temps réel.

« Afin de modifier l’activité cérébrale à des endroits spécifiques, l’individu s’assoit dans un fauteuil devant un écran de télévision. Le système sera ensuite programmé pour qu’une vidéo joue uniquement lorsque les régions ciblées s’amélioreront. Le cerveau prendra quelques minutes pour identifier quelles régions sont responsables de faire avancer l’image devant lui. Par la suite, le cerveau se mettra, par lui-même, à modifier son activité cérébrale dans les régions ciblées de manière à faire jouer la vidéo », explique-t-on chez Neuroperforma.

« Les gens pensent souvent que les athlètes s’entraînent tout le temps dans une salle de musculation pour travailler leur performance physique. Mais la réalité, que ce soit au niveau de la prévention des commotions, du traitement des blessures, de l’optimisation des performances ou du temps de réaction, c’est que la technologie, ça joue un rôle crucial », souligne M. Duvernay-Tardif.

Entraîner les équipes et optimiser leurs performances et tactiques

Les innovateurs du Québec se démarquent aussi pour leur expertise dans le domaine de l’IA, trouvant des champs d'intérêt et d'applications dans le sport à plus grande échelle.

Sports AI

C'est le cas des ingénieurs en logiciel diplômés de Polytechnique Montréal, Tarik Agday et Imrane Belhadia, qui ont développé Sports AI, une application qui repose sur l’IA pour l’analyse de performances au soccer, grâce à aux données générées en temps réel. La solution analyse les vidéos des matchs diffusés en direct ou en différé, et dresse le portrait des performances et du comportements des joueurs, que ce soit pour mesurer leur maîtrise des passes, leur couverture du terrain, leur réactivité ou la précision de leurs tirs. Cela permet, grâce à des algorithmes entraînés sur une grande base de données, de cibler l’information pertinente de manière rapide et efficace pour les entraîneurs et leurs équipes.

C’est en baignant lui-même dans le milieu des athlètes de haut niveau que Tarik Agday a pris conscience d’une opportunité à saisir. « J’ai joué au soccer pendant une vingtaine d’années, côtoyant le milieu professionnel. C’est comme ça que j’ai constaté que les statistiques qui étaient disponibles étaient soit trop volumineuses, soit présentées dans un format peu exploitable pendant les matchs, et qu’il y avait place à l’innovation pour remédier au problème », explique le jeune ingénieur et entrepreneur.

En fonction des matchs, la solution, sous le format d'une application mobile, dresse le portrait des performances et du comportement des joueurs selon différents paramètres (passes, couverture du terrain, réactivité, précision lors des tirs, etc.).

« Nos algorithmes font ce que l’on appelle de la ‘reconnaissance d’événement’. Cela permet de détecter tout ce qui se passe sur le terrain en temps réel. Les événements sont étiquetés et stockés dans notre base de données. Puis, les entraîneurs et les équipes ont accès à une application connectée, alimentée par notre base de données. Il y a énormément de visualisation de données à faire parce qu’on veut permettre aux entraîneurs de cibler l’information qu’ils recherchent en moins de dix secondes. »

Si, pour l’instant, Sports AI est surtout utilisée au soccer, ses développeurs se targuent d’exploiter « un très gros marché » en raison de l’intérêt mondial que le sport suscite, et profitent des opportunités et programmes d’incubateur pour exporter leur solution à l’extérieur du Québec, notamment sur la côte ouest américaine. « On parle d’une clientèle ciblant les équipes de soccer de niveau compétitif. Les performances analysées sont à la fois celles des athlètes sur la base individuelle, et celles des équipes. L’idée est d’offrir des données en temps réel aux entraîneurs, pour leur permettre d’avoir un outil qui les aide dans leur prise de décision. »

DNA Global Analytics

Basée en Suisse, l’entreprise DNA Global Analytics offre quant à elle un éventail de services, dont des solutions destinées aux sportifs souhaitant devenir des « athlètes augmentés » et ultraperformants, le tout sans dopage, notamment grâce à l’IA. Ses innovations se focalisent surtout sur les sports individuels, comme le taekwondo, le cross-training, le fitness et l’athlétisme. Elles collectent et analysent des données sur le sommeil, la nutrition ou la salive des athlètes, et d’autres données biométriques permettant notamment de déterminer leurs moments optimaux de performance, sinon d’anticiper les périodes de fatigue pendant lesquelles les ménager.

Amazon Web Services

Tirant le meilleur de ce que la collecte et l'analyse de données ont à offrir, certaines entreprises spécialisées dans l'infonuagique permettent aussi à de grandes organisations sportives, telles que les ligues ou encore les équipes nationales haute performance, d'avoir une vue d'ensemble sur leurs forces et leurs faiblesses, et d'optimiser leurs tactiques, en profitant d'une gamme d'application interopérables et compatibles avec le matériel des clients.

Pensons aux dernières solutions « cloud » offertes par la division Sports d'Amazon Web Services (AWS), auxquelles ont notamment recours les Raptors de Toronto au basketball, la Ligue nationale de hockey (LNH), ou encore l’équipe de natation australienne, cette dernière ayant notamment remporté l’Or aux Jeux de Tokyo, pour lesquels elle s'est entraînée en profitant des solutions d’AWS, bénéficiant d'une vision globale de ses performances ayant aiguillé les décisions de ses entraîneurs.

Reposant sur l'IA et l'apprentissage-machine, les solutions d'AWS sont compatibles avec les capteurs corporels et autres équipements dont dispose déjà les équipes, pour traiter et analyser leurs performances et en rendre la lecture digeste pour les entraîneurs, grâce à une interface accessible sur tablette ou autre appareil mobile.

Des senseurs sur le terrain, sinon l'analyse des flux et trajectoires captés en vidéo, permettent aussi de collecter des données sur différents paramètres : la position des gardiens de but, les mouvements, les interactions et impacts dans les matchs, les forces et faiblesses des joueurs attaquants, etc.

Arbitrer les matchs

Des juges de lignes automatisés et intelligents

Depuis les dernières années, plusieurs exemples témoignent aussi des utilités de l'IA à des fins d'arbitrage. Au US Open en septembre 2023, on a remplacé les juges de lignes par le système de caméras intelligentes de la compagnie britannique Hawk-Eye Innovations Limited, appartenant à Sony Sports Innovations Group. 18 caméras ont ainsi suivi l’action sur le terrain, relevant les fautes de pieds, retraçant la trajectoire de la balle et reproduisant les séquences en 3D, rehaussant le degré de précision et de fiabilité pour la plus grande satisfaction des organisateurs et des joueurs.

L’ATP (Association of Tennis Professionals) a d'ailleurs annoncé que ce système devrait se généraliser sur l’ensemble du circuit de tennis masculin d’ici 2025. Dans un communiqué en avril 2023, son président, Andréa Gaudenzi déclarait que « La tradition est au cœur du tennis et les juges de ligne ont joué un rôle important dans le jeu au fil des années (…) Nous avons la responsabilité d’adopter l’innovation et les nouvelles technologies. Notre sport mérite la forme d’arbitrage la plus précise. »

Des traceurs à l'intérieur des ballons en mouvement

La même compagnie a été mandatée pour superviser le système d’assistance vidéo à l’arbitrage (« VAR » de son acronyme), lors de la coupe du monde de soccer en 2022. On avait alors muni le ballon d’un capteur géospatial de mouvements de 500 Hz, qui permettait de collecter des données jusqu’à 500 fois par seconde pour détecter sa position en temps réel au contact des joueurs.

Des enjeux et défis d'ordre éthique

Mais l'innovation s'accompagne de plusieurs défis à relever, se rapportant notamment aux facteurs de résistance sociale, sur lesquels se penchent déjà les acteurs du sport et des technologies innovantes.

La menace pour l'emploi

Dans le contexte où l’automatisation implique de substituer la machine à l’être humain, comme le système intelligent de caméras et de capteurs pour l’arbitrage des matchs et le jugement de lignes, il faut s’attendre à faire l’objet de débats de société quant à la préservation de l’emploi et de l’intervention humaine, puisqu'on prévoit que l’IA engendrera la disparition de plusieurs métiers, dont celui des arbitres, déjà menacé.

La crainte relative au partage de données sensibles

Du point de vue de l’athlète, plusieurs enjeux éthiques sont aussi à considérer. Comme dans tout domaine où l’on souhaite collecter et exploiter des données, la principale considération éthique à y voir se rapporte à la confidentialité. Plusieurs individus sont en effet réfractaires à l’idée de partager des données, qu’elles soient biométriques ou portent sur leur style de vie ou leur quotidien, puisqu’elles permettent de constituer un portrait ou une identité numérique. Il faut donc s’assurer de faire preuve de transparence et d’encadrement quant à la manière dont les données seront traitées, et anonymisées s’il y a lieu.

Les inégalités d'accès aux innovations entre certaines classes d'athlètes

Enfin, l’autre enjeu éthique soulevé dans le monde du sport est la disparité des ressources entre classes et catégories d’athlètes, puisque les sportifs de haut niveau sont généralement mieux entourés et mieux soutenus financièrement, en plus d’avoir accès à du matériel de pointe, notamment en matière de simulation.

« Il existe maintenant un paquet d’outils pour que les sportifs soient meilleurs. C’est cool, mais le problème, c’est que ce n’est pas accessible à tout le monde », nuance justement Laurent Duvernay-Tardif, craignant que le manque de démocratisation creuse le fossé entre les athlètes plus soutenus et ceux de peu de ressources, mais aussi que « les champions de demain » soient finalement « les sportifs qui travaillent avec les meilleurs ingénieurs ».

Contribuer à mieux démocratiser ce genre de technologies s'inscrit d'ailleurs dans la mission de certains pionniers québécois de l'entraînement en réalité étendue (XR), comme le directeur des opérations chez XPR Labs, Gabriel Brien, qui a justement foulé le plateau de l'émission C+Clair du 7 mai dernier, produite par la rédaction de CScience, en partenariat avec Genium360, pour faire connaître en primeur les innovations de son entreprise en matière d'immersion et de réalité étendue (XR), dont le jeu de fitness VR « Tae Bo Reboot », fondé sur une méthode popularisée par l'acteur américain et artiste martial Billy Blanks. L'application du jeu, qu'il fait actuellement connaître au grand public à travers une tournée mondiale, sera téléchargeable gratuitement dès novembre 2024.

Julien Clément, professeur à l’École de technologie supérieure (ÉTS) et analyste de la performance à l’Institut national du sport (INS) du Québec, s'exprime également en faveur de la démocratisation de la recherche et de l'innovation, lors de son passage à la même émission : « Dans ma pratique de recherche, grâce à un programme d'accélération en entreprise du Centech de l'ÉTS, je tente justement de valoriser la recherche que je fais depuis huit ans, et d'offrir à tous les pratiquants de diverses disciplines sportives, allant de l'escrime à la natation, en passant par le patinage de vitesse, tous les outils que je développe. »

Questionné par CScience à savoir si l’offre de Sports AI intégrait un volait accessible aux joueurs amateurs, Tarik Agday répond quant à lui qu’« On ne cible pas l’utilisateur grand public qui voudrait s’en servir sur le plan individuel, car il est difficile de faire la compétition aux applications peu coûteuses et déjà démocratisées que sont Nike Run, ou encore Strava, qui ont été très populaires au début de la pandémie. Par contre, il est possible d’utiliser notre solution à l’échelle de la communauté, d’un club de quartier ou d’un établissement collégial, par exemple. »

Crédit image à la Une : Solutions d'Amazon Web Services, division Sports (courtoisie)

 

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